Dans les ruelles sombres du New York des années 90, The Addiction (1995) d’Abel Ferrara réinvente le mythe du vampire avec une audace intellectuelle et une esthétique crue. Ce film d’horreur arty, tourné en noir et blanc, suit Kathleen Conklin, une étudiante en philosophie mordue par une mystérieuse séductrice, qui sombre dans une soif de sang métaphorique de l’addiction. Avec Lili Taylor en tête d’affiche et Christopher Walken en cameo magnétique, ce conte gothique est moins une histoire de crocs que de culpabilité, de rédemption et de joutes philosophiques. Préparez-vous à un voyage où Nietzsche rencontre la seringue.
Ferrara, maître du cinéma indépendant et poète de la violence urbaine, transforme le vampirisme en allégorie de la dépendance, inspirée par sa propre lutte contre l’héroïne. Kathleen, incarnée par une Lili Taylor aussi vulnérable que féroce, passe de doctorante studieuse à prédatrice nocturne, injectant le sang de ses victimes comme une junkie désespérée. Le scénario de Nicholas St. John, écrit après la perte de son fils, imbibe chaque dialogue de références à Heidegger, Kierkegaard et au péché originel, donnant au film une densité qui frôle parfois la parodie des séminaires universitaires. Pourtant, entre deux citations existentialistes, Ferrara insère des images choc – du massacre de My Lai aux charniers nazis – pour ancrer son récit dans une réflexion sur la violence humaine.
Visuellement, The Addiction est un bijou brut, grâce à la photographie en noir et blanc de Ken Kelsch, qui évoque les films noirs des années 50 tout en capturant un New York crasseux, juste avant sa gentrification. La bande-son, mêlant le score de Joe Delia à des éclats de rap comme Cypress Hill, pulse comme une veine dans cette ville-vampire. Annabella Sciorra, en Casanova séductrice, et Edie Falco, en amie rationnelle, complètent un casting éclectique, mais c’est Christopher Walken, en vampire philosophe nommé Peina, qui vole la vedette. Avec son monologue sur la maîtrise de l’addiction – ponctué d’un glorieux « Je vais même aux toilettes ! » – il transforme ses quelques minutes à l’écran en sermon aussi hilarant qu’effrayant.
Ce qui fait de The Addiction un OVNI, c’est son refus des conventions. Oubliez les crucifix et les gousses d’ail : ici, le vampirisme est une maladie de l’âme, une soumission à la volonté contre laquelle Kathleen lutte jusqu’à une fin aussi mystique que brutale. Le film, primé à Málaga et nommé à Berlin, divise : certains y voient un chef-d’œuvre, d’autres un pensum prétentieux. Mais pour les amateurs d’art et d’horreur, c’est une expérience unique, où l’intellect et le viscéral s’entrelacent comme une morsure amoureuse. Alors, oserez-vous plonger dans ce New York où le sang coule aussi librement que les idées ?